Direction artistique Opiyo Okach |
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Shift Centre Direction artistique: Opiyo Okach pièce pour un nombre variable d'interprètes Scénographie : Jean-Christophe Lanquetin Installation : Polska > télécharger le dossier complet en pdf (anglais) Shift… Centre est une oeuvre de composition instantanée avec possibilité d’un nombre variable d’interprètes (danseurs, musiciens, vidéastes, etc.) ; une performance chorégraphique modulable, conçue pour être présentée dans des espaces de représentation non conventionnels. L’espace y est approché comme entité fragmentée multidirectionnelle, sans point focal central, sans lignes de démarcation ou de costumes susceptibles de distinguer les interprètes du public, ni la scène de l’auditorium, et sans notification de début et de fin. La chorégraphie invite à transformer les espaces scéniques traditionnels ou à les quitter pour investir les lieux publics les plus variés. Des événements multiples et parfois simultanés s’y déroulent ; de durée variable et localisés dans différentes parties de l’espace investi, ils sont destinés à être vécus comme une accumulation d’événements fragmentés. Les particularités architecturales du lieu et du contexte de l’événement sont prises en compte : les structures, offrant des cadres visuels et des obstacles physiques, sont utilisées pour révéler ou obstruer les lignes visuelles. De même, les sons naturels de l’espace sont introduits dans la création sonore de la représentation. Les espaces sont occupés à la fois par les artistes et le public, qui peuvent s’y déplacer, le public étant libre de choisir les événements qu’il souhaite voir. La chorégraphie est axée autour de la mixité culturelle, de la notion d’identité, de la diversité des points de vue, et de la manière dont ce contexte de mixité agit sur la perception d’un espace physique à travers les notions de corporéité, de territoire, d’appartenance. |
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Résolument expérimental, Shift…Centre se situe au
carrefour de la danse et de la performance. Fondée sur l’improvisation
et la composition instantanée, cette pièce interroge un
double rapport : entre « espace et perception » et entre « perception et identité ». Deux questions qui guident les recherches chorégraphiques
d’Opiyo Okach depuis plusieurs années.
Pluri-dimensionnalité de l’espace et des identités Sa précédente création, Abila (en 2002) investiguait déjà, par le biais de projections vidéo, la pluri-dimensionnalité de l’espace et des identités. Cette fois, le chorégraphe va plus loin. Grâce à un subtil dispositif scénographique – que l’on doit au talentueux Français Jean-Christophe Lanquetin – qui morcelle l’espace par des panneaux mobiles et translucides, l’approche se veut encore plus radicale. Shift…Centre fait fi des conventions habituelles de représentation : pas de frontière scène-salle, pas de lignes de démarcation ou de costumes susceptibles de distinguer les interprètes du public, pas de notification de début ou de fin de la pièce. À la place, les spectateurs sont invités à déambuler librement dans l’immense salle vide où sont dispersés les cinq interprètes (quatre hommes et une femme). Questionner l’idée d’espace, remettre en cause les modes de représentation spatiaux où il n’y a qu’une façon de voir, qu’un seul lieu pour la vérité, est au cœur de la démarche de Shift. Comment permettre aux choses d’être perçues de différents points de vue pour empêcher de les formater ? Ne voir que d’une seule façon est une tyrannie du regard imposée par les conventions dominantes de représentation. Cela contraint non seulement le public mais aussi l’artiste dans sa manière de créer et de percevoir. Improvisation À l’inverse, le spectacle propose une approche fragmentée et multidirectionnelle de l’espace. Les danseurs improvisent en jouant non seulement avec l’agencement des panneaux et de quelques intrigantes sculptures en bambou – œuvres de la plasticienne française Polska – mais aussi avec la disposition mouvante du public. Il n’y a plus de point focal central mais un nombre incalculable d’événements qui se produisent simultanément : petits et grands, officiels et officieux. Chacun regarde ce qui lui parle : un danseur, le reflet changeant d’un corps sur un panneau, l’étrange tableau d’ensemble ou encore les enfants qui, se sentant vite à l’aise dans ce dispositif, s’aventurent hors du public et se mettent à danser à leur tour… La poésie surgit ainsi de cette liberté, de cette démultiplication des points de vue qui sait restituer la magie de l’instant, du hasard, du présent. Dimension politique… Shift… Centre constitue ainsi l’expérience de l’être au monde dans un lieu ici et maintenant et le partage de cette présence. Mais sa portée ne s’arrête pas là. Cette pièce n’est pas une simple déclaration esthétique au sujet de l’espace. Elle évoque aussi la réalité politique et sociale. C’est sans doute par cette dimension que le travail du chorégraphe trouve tout son sens. Depuis plusieurs années, Opiyo Okach affirme artistiquement un double credo : celui de réalité et d’identité multiples, et son corollaire, un certain relativisme culturel qui appelle la tolérance. En Afrique, nous sommes dans une position où nous sommes constamment exposés à une multiplicité de réalités et de façons d’être, explique-t-il. Nous vivons au quotidien avec la tradition, l’islam, la chrétienté, MTV… Il est courant de parler quatre langages différents. […] Lorsque je mets ma casquette traditionnelle africaine, j’accepte la réalité d’une certaine manière. Avec ma casquette chrétienne, je l’appréhende d’une autre façon. De même, quand je suis à Nairobi, je fonctionne différemment que lorsque je me trouve au village. À Paris, c’est encore autre chose. Nous acceptons toutes ces facettes comme des façons d’être valides. Comment se fait-il que dans l’art de la représentation, dans nos pratiques artistiques, nous abandonnions soudain cette expérience de réalité multiple ? Opiyo Okach a toujours pris soin d’explorer cette richesse, cette mixité culturelle. Au fil des pièces, il dévoile les différentes facettes de son identité : kenyane, européenne, urbaine, liée aux traditions du peuple luo dont il est originaire… Cette dernière création n’échappe pas à ce principe. Tant par les origines des artistes qu’elle réunit (Kenya, Éthiopie, Tanzanie, France) que par la diversité des champs artistiques qu’elle met en scène (danse, musique, chant, vidéo, sculpture). Okach télescope les frontières avec jouissance. À Limoges, l’un des moments les plus forts est d’ailleurs né de la présence d’une vieille chanteuse traditionnelle kenyane : Ogoya Nengo. Vêtue d’une longue robe en coton tissé écru et portant un large collier de perles artisanal, elle s’est mise lentement à parcourir l’espace en chantant. Arrivée à proximité d’un danseur, ce dernier modifiait insensiblement sa gestuelle jusqu’à adopter l’esquisse d’un pas en parfaite harmonie avec le chant. Fragiles retrouvailles, affleurement d’une identité en sommeil. Le centre du monde n’est pas seulement en un lieu. Le centre n’est pas là où nous sommes. Il est fragmenté. Il s’agit d’accepter la réalité comme phénomène multiple, toujours en mouvement, dont nous ne pouvons percevoir qu’un fragment à la fois, rappelle le chorégraphe. Aujourd’hui, des situations sociales suggèrent qu’il existe un centre du monde, qu’il n’y a qu’une seule façon de voir. Le danger est que cet endroit croit détenir la vérité, connaître ce qui est correct ou mauvais. Pourquoi se limiter à un quand il y a 360 degrés possibles ? demande Okach, reprenant une citation de l’architecte Zara Hadid. Sa danse est à l’image de cette question. Elle n’a rien de didactique, de démonstratif ni de spectaculaire. Guidée par l’instant, exploration fluide et souple de l’espace, debout comme au sol, reflet d’un souffle bien plus que certitude d’un résultat. Ayoko Mensah |
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